Projet de l’Esplanade : un projet urbain sans avenir
- Retrouver Grenoble
- 12 mars
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Du 17 février au 21 mars, les grenoblois sont appelés à se prononcer sur l’enquête publique portant sur la requalification urbaine du quartier de l'Esplanade et sur la mise en compatibilité afférente du PLUi (Plan Local d'Urbanisme intercommunal). Une réunion publique se tenait hier soir, à l’Hôtel de Ville, à quelques jours de la clôture du registre numérique de contribution.
La situation stratégique de l’Esplanade appelle une véritable vision sur le long terme et un maillage en lien avec tous les quartiers voisins. Elle nécessite également une véritable scénarisation de l’accueil des visiteurs de Grenoble ; il s’agit d’une occasion unique, symbolique et ô combien rare de reconstruire une des entrées de la Capitale des Alpes, au pied de la Bastille, Porte de France !
Le réaménagement de l’Esplanade est un serpent de mer à Grenoble. Longtemps envisagé, toujours reporté, la majorité actuelle, à quelques mois des élections municipales, semble avoir décidé d’accélérer son calendrier, en portant un projet dénué d’ambition, sans vision, dont les nombreux impacts pèseront sur la vie quotidienne des habitants comme sur celle des populations en transit, notamment lors de leurs déplacements pendulaires.
En cas d’approbation de l’enquête publique, la prochaine équipe municipale se verra attribuer la gestion d’un encombrant dossier, un de plus parmi tous ceux que la majorité sortante n’est pas parvenu à résoudre en associant les grenoblois en deux mandats.
Le réaménagement de l’esplanade tel qu’envisagé soulève trois réactions :
1. L’opportunité de lancer au forceps ce projet symbolique à 12 mois des municipales, malgré une situation budgétaire dégradée ;
Bien que l'enquête publique initiée porte sur un vaste réaménagement de la zone de l'esplanade, avec une maîtrise d'ouvrage partagée entre la ville, la métropole, le SMMAG et même la commune de Saint-Martin le Vinoux, nous apprenons lors de la réunion publique qu'aujourd'hui, seul le réaménagement de l'esplanade a été budgétisée par la Ville de Grenoble. Le projet dans son ensemble devient alors une mascarade, dont la concrétisation, repoussée aux calendes grecques, ne dépassera pas les dessins et vues d'architecte.
Concernant le plan de financement du projet de "végétalisation de l'esplanade", délibéré lors du Conseil municipal du 3 février dernier, repose sur une participation de l’Etat de plus de 2M€, au titre de la Dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) qui dépend de la Préfecture de l’Isère. En pariant, pour l’année 2025, sur un maintien du montant délégué aux projets isérois, la ville de Grenoble escompte en capter 20%.
Pourtant, en 2025, dans un contexte budgétaire contraint, la DSIL va "être rabotée" de 145 millions d'euros, infléchissement qui pourrait impacter la somme dévolue au territoire isérois. La municipalité semble omettre qu’en tant qu’aménageur la cession foncière est un outil permettant aux collectivités d’obtenir des recettes pour maîtriser ses charges et afficher un bilan d’opération équilibré. Dans le cas présent, la municipalité renonce à toute discipline budgétaire pour s’afficher plus cigale que fourmi. Enfin, en comptant sur des dotations de l’Etat ou de ses tutelles (FNAP, Agence de l’Eau, …) non garanties à date, elle s’ouvre un chemin pour se défausser, en cas de refus, de ses responsabilités.
D’ailleurs, à ce stade du projet la municipalité ne semble pas avoir budgétisé le coût de fonctionnement induit par son réaménagement lié aux moyens humaines et techniques requis pour assurer l’entretien des espaces, la sécurisation de ce nouvel espace public, … A l'heure où les moyens d'intervention du service public municipal sont insuffisants (propreté, gestion des espaces verts, police municipale, ...) : la ville entend-elle augmenter les effectifs et moyens ou procéder par redéploiement, accentuant davantage les charges pesant sur les agents actuels ?
2. Une négligence des conséquences négatives induites (stationnement, nuisances sonores, exposition aux polluants, mobilité, …) par un projet irréfléchi ;
Après la Place de Metz, l’avenue Jeanne-d ’Arc et le Cours Berriat, la majorité poursuit à l’Esplanade sa stratégie de suppression des places de stationnements, et sa chasse aux « affreux automobilistes ». Il existe dans la commune une pression déjà très importante sur l’offre de stationnement, générant d’une part un effet d’évitement du centre-ville délétère pour ses commerçants et, d’autre part, repoussant les véhicules aux entrées de la ville.
L’Esplanade est justement située en entrée de ville, où les stationnements actuels jouent un rôle de parking-relais car à proximité directe du tram, des pistes cyclables, bref de mobilités douces permettant d’accéder aisément aux commodités et commerces du centre. D’ailleurs, le registre de la précédente enquête publique regorgeait déjà de commentaires d’habitants de communes limitrophes s’inquiétant de la suppression de ce parking ; des avis apparemment non pris en considération …
Le réaménagement prévoit en plus la création de plus de 800 logements supplémentaires, soit une évolution positive de près de 2.000 habitants, en comptant l’îlot Peugeot dans le quartier de l’Esplanade par rapport à la situation actuelle. Résumons sommairement : nous créons des habitations supplémentaires, dont les occupants ne se cantonneront pas tous à la marche à pied ou au vélo pour leurs déplacements donc solliciteront des places de stationnement ; nous portons une politique de réduction de l’utilisation de la voiture en centre-ville mais supprimons un parking à l’entrée de ville, pourtant aujourd’hui plébiscité pour les trajets pendulaires. En conclusion, nous créons une situation absurde, inadaptée et qui contrevient à son objectif de favoriser les mobilités durables. A l’avenir, faute de place de stationnement à proximité du tram, combien d’automobilistes prolongeront leur trajet dans les quartiers limitrophes ? Ils pourraient d’ailleurs aussi bien se rabattre sur les grands parkings des centres commerciaux périphériques au détriment de la vie sociale et commerciale de notre centre-ville et des commerçants du quartier de l’Esplanade.
« De nouveaux habitantes et habitants profiteront de cet environnement », la douce voix des éléments de langage démagogiques se présente. Oui, ces futurs nouveaux habitants bénéficieront d’un quartier entièrement réaménagé qui dégradera leur qualité de vie, avec :
- Une augmentation des nuisances sonores pour les habitations à l’entrée nord en lien avec la modification des voiries (rapprochement de l’axe routier de la RN481 et la création d’un nouvel accès) ;
- Une augmentation des émissions de polluants (Cf. l’étude d’impact), avec un soumis aux dépassements des limites journalières pour les PM10 et des valeurs guides OMS pour les particules PM10 et PM2.5 ;
- Un accroissement des événements dont la majorité prévoit l’installation temporaire sur le site, malgré les plaintes répétées des riverains lors de la cohabitation avec la foire des rameaux ;
- Des services/équipements publics réduits à peau de chagrin, et une offre commerciale à venir, que même l’étude d’impact définie comme « limitée ».
3. De prétendus bénéfices environnementaux
À Grenoble, le phénomène d'îlot de chaleur urbain est particulièrement marqué : près de 80 % des habitants y sont exposés, d’après les chiffres avancés par le Dauphiné Libéré. En 2022, des chercheurs du CNRS et de Météo France avaient étudié à la loupe les îlots de chaleur de 42 zones urbaines françaises. Hors Paris, Grenoble était la ville de France où cette exposition était la plus élevée. Le quartier de l’Esplanade n’échappe pas à ce constat. Pour lutter contre ce phénomène, la ville prévoit dans son futur aménagement la création de « grandes pièces en stabilisé et stabilisé enherbé » sur une structure de fondation « réalisée en grave compatible avec les sollicitations événementielles ».
Réduire le phénomène d’ilot de chaleur à partir de stabilisé, même enherbé, il fallait oser. Une étude de l’ADEME, bien nommée « Rafraichir la ville », précise que les zones enherbées ne modifient pas le confort thermique dans un espace dégagé en journée. A l’échelle du piéton, les pelouses peuvent avoir un effet rafraichissant si elles sont irriguées, dans le cas contraire l’effet est nul. La ville envisage-t-elle d’arroser les zones dotées d’une pelouse pour bénéficier d’un impact positif sur les températures moyennes observées ? Si oui, comment cette pratique s’inscrit-elle dans son objectif affiché de veiller à la préservation de la ressource en eau ?
Dans cette même étude, l’ADEME indique que la pleine terre peut générer un effet relatif plus important et dispose, on s’en doutait, d’un potentiel de développement de la biodiversité. Le ratio de pleine terre est justement une des modifications du PLUi proposé lors de l’enquête publique, pour faciliter la mise en œuvre du réaménagement. En effet, le zonage impose un ratio de 30% d’espace de pleine terre contre 0% pour le projet actuel…
La Grande Esplanade mérite mieux. L’accès principal du nord de la ville, près de l’entrée monumentale de la Porte de France, mérite une vraie ambition urbaine, alors que le projet présenté par la majorité actuelle fait du gagne-petit. Aménager une ville c’est penser l’avenir, c’est être capable de porter une vision transversale sur les modalités d’organisation, de coactivité, de mobilité, de vie quotidienne, … Aménager c’est savoir changer de posture, écouter autant les experts que les habitants, ce n’est ni se positionner en gestionnaire ni en laborantin, on n’expérimente pas avec le quotidien des habitants. C’est prendre conscience de l’espace, des attentes, et dans le cas précis de la Grande Esplanade proposer une vision à hauteur des enjeux de la ville de Grenoble : désenclaver, créer un grand parc des berges, arboré pour protéger et éviter la surchauffe – véritable ilot de fraicheur aux portes du centre-ville, faciliter les déplacements pendulaires, créer un véritable nouveau quartier doté de sa propre attractivité. En proposant un ersatz de réaménagement, la majorité municipale tombe dans le piège brûlant d’un projet sans cohérence, d’une vision qui louche sur des objectifs flous.